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Migraine - Physiopathologie

7 min

Caractéristiques de la douleur associée à la migraine

La migraine chronique bouleverse le quotidien de plusieurs millions de personnes dans le monde, mais aussi leur vie professionnelle, leur vie sociale et la vie de leur entourage. La charge supportée par les patients atteints d’une migraine chronique va au-delà de la douleur et implique également une perturbation de leur fonctionnement et de leur état émotionnel. Lors de l’édition 2020 du sommet mondial de la migraine qui s’est tenue virtuellement du 18 au 26 mars, le Dr Patricia Pozo-Rosich (directrice du groupe de recherche spécialisée dans les céphalées et douleurs d’origine neurologique de l’Institut Vall d’Hebron de Barcelone [Espagne]) a répondu à des questions concernant les processus de la douleur dans la migraine lors d’une présentation intitulée « Les mécanismes de la douleur dans le cerveau migraineux ».

 

"La douleur chronique est un problème très complexe, qui ne peut être résolu qu’à l’aide d’une approche pluridisciplinaire."

Dr Patricia Pozo-Rosich

 

 

La douleur doit-elle être considérée comme notre ennemie ou bien comme notre alliée ?

Le Dr Pozo-Rosich a commencé par expliquer que la douleur était un mécanisme de défense, qui permettait d’attirer notre attention sur un problème. Cependant, la douleur chronique ne constitue pas un système d’alerte efficace, car elle est quotidienne. Le Dr Pozo-Rosich a ensuite précisé que le cerveau pouvait commencer à tisser des réseaux dans certaines zones dans lesquelles la douleur allait alors être perçue comme normale. Selon elle, une partie des douleurs éprouvées par les personnes migraineuses chroniques ne serait pas attribuable à la migraine à proprement parler, mais plutôt à un état d’acclimatation du cerveau à la douleur persistante, qui empêcherait ce dernier de retrouver son fonctionnement normal. Le Dr Pozo-Rosich a ajouté dans le contexte de migraine chronique, le cerveau peut s’acclimater à la douleur jusqu’à la considérer comme un déclencheur bénéfique. Le patient serait alerté de la survenue imminente d’un stimulus indésirable tel qu’une tâche ardue d’ordre intellectuel ou physique.

 

Différences entre les sexes en matière de douleur

À la question de savoir s’il existait des différences entre l’homme et la femme concernant la douleur, le Dr Pozo‑Rosich a répondu que les affections induisant des douleurs chroniques (telles que la fibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique, le syndrome de l’intestin irritable ou encore la migraine chronique) touchaient davantage les femmes que les hommes. Elle a notamment évoqué des études effectuées chez le rat durant lesquelles l’application du peptide apparenté au gène de la calcitonine (CGRP) sur la dure-mère avait produit chez les rates une réponse douloureuse peu fréquente chez les rats mâles1. Le Dr Pozo-Rosich a ensuite ajouté que la prévalence supérieure des douleurs migraineuses chez la femme en âge de procréer pouvait être imputable à une différence en matière de réponse au CGRP ou de quantité de CGRP et être favorisée par des changements hormonaux2.

 

Détection de la douleur dans le cerveau

Le Dr Pozo‑Rosich étant notamment spécialisée dans les modifications cérébrales provoquées par la douleur, elle a expliqué la manière dont les examens fonctionnels d’imagerie par résonance magnétique (IRM) peuvent être utilisés pour la détection des modifications survenant dans le cerveau lors des douleurs aiguës et chroniques. D’après le Dr Pozo-Rosich, certaines des modifications observées dans les cerveaux de patients migraineux chroniques sont dynamiques, et donc réversibles par le traitement, tandis que d’autres modifications sont permanentes. Elle a cité une étude récente, qui montre que les migraineux chroniques présentent des lésions permanentes du tronc cérébral3. Le Dr Pozo-Rosich estime qu’il pourrait exister un seuil (à savoir un certain nombre de crises ou d’années de vie avec la douleur) au-delà duquel certaines parties du cerveau développeraient des lésions irréversibles.

 

Cycle de la douleur

Lors de sa description du cycle de la douleur, le Dr Pozo-Rosich a expliqué que la douleur aiguë était due à un événement douloureux ponctuel et finissait par s’estomper. A l’inverse, la douleur migraineuse provoque une inflammation de la dure-mère, pouvant se prolonger et être récurrente. Les patients migraineux chroniques n’ayant pas nécessairement le temps de se rétablir complètement entre deux épisodes migraineux, la douleur peut avoir un impact émotionnel ou psychologique, qui, selon le Dr Pozo-Rosich, rabaisse le seuil de déclenchement de la crise suivante. Ce phénomène peut, à son tour, induire une appréhension chez le patient et participer ainsi à abaisser encore davantage ce seuil et à créer un cercle vicieux. D’après le Dr Pozo-Rosich, cela pourrait expliquer en partie la faiblesse de la réponse au traitement préventif chez les migraineux chroniques, comparativement aux migraineux épisodiques.

À la question de savoir comment rompre ce cycle de la douleur, le Dr Pozo-Rosich souligne l’importance de choisir le bon traitement. Elle insiste également sur des facteurs tels que le sommeil et l’humeur qui influent de façon majeure sur la perception du traitement par le patient. Le Dr Pozo‑Rosich a aussi mentionné que la chronicisation de la douleur survient souvent à la suite d’un stress intense ; la résolution de la cause de ce stress peut également aider. Pour résumer, elle a expliqué que la douleur chronique était un problème très complexe qui nécessitait une approche pluridisciplinaire et divers traitements ; la prise en charge doit être réfléchie et adaptée au cas par cas.

 

Références
  1. Avona A, Burgos-Vega C, Burton MD, Akopian AN, Price TJ, Dussor G. Dural Calcitonin Gene-Related Peptide Produces Female-Specific Responses in Rodent Migraine Models. J Neurosci 2019;39:4323-31.

  2. Labastida-Ramirez A, Rubio-Beltran E, Villalon CM, MaassenVanDenBrink A. Gender aspects of CGRP in migraine. Cephalalgia 2019;39:435-44.

  3. Dominguez C, Lopez A, Ramos-Cabrer P, et al. Iron deposition in periaqueductal gray matter as a potential biomarker for chronic migraine. Neurology 2019;92:e1076-e85.